Intervention au collège/lycée

Historique de la recherche-action

L’association « Carry-on » a créé un dispositif d’accompagnement au retour en classe, à partir d’une expérimentation (recherche-action). Vous découvrirez ici :

 


Avant notre recherche, que sait-on ?

Quel impact du cancer sur la vie des adolescents ?

Le cancer est une maladie grave très spécifique qui atteint l’individu dans sa construction identitaire (Bataille, 2003; Marioni, Gabrielle, 2010; Oppenheim, 2006). Loin d’être une maladie nouvelle, le cancer reste une maladie terrifiante pour la plupart des individus (Bataille, 2003), qui l’associent étroitement à la mort dans leurs représentations.

Le cancer est une pathologie stigmatisante et les représentations associées à cette maladie sont souvent connotées très négativement. La vie quotidienne des adolescents traités pour un cancer est profondément bouleversée à la fois par la maladie, les effets secondaires des traitements et le regard des pairs sur leur situation. Ainsi des handicaps visibles et invisibles apparaissent pendant et après les traitements.

Que sait-on sur la scolarité des élèves du secondaire atteints de cancer ?

Il existe assez peu de travaux portant sur la scolarité des élèves du secondaire atteints de cancer et la littérature existante est essentiellement internationale (Pini, Hugh-Jones, & Gardner, 2012). La rupture scolaire est bien souvent l’élément qui marque la rupture de normalité pour les adolescents. On parle de « rupture biographique » (Bury, 1982) pour désigner la profonde rupture dans l’existence des adolescents traités pour un cancer. Au-delà des absences, souvent nombreuses et étalées dans le temps (Eiser & Vance, 2002; Gerhardt et al., 2007; Vance & Eiser, 2002), c’est une grande partie de l’expérience scolaire qui est modifiée durant cette période, par l’existence de cours en hospitalisation, ou encore par la venue de professeurs ordinaires à domicile, via le SAPAD (Service d’Accompagnement Pédagogique à Domicile). Le retentissement du cancer sur les performances scolaires est fortement controversé : si certains auteurs, en France notamment observent une propension plus forte au redoublement (Bonneau et al., 2011), certaines études internationales confirment (Moore, Kaffenberger, Goldberg, Kyeung Mi Oh, & Hudspeth, 2009) ou infirment cette affirmation (Dieluweit et al., 2011). Il paraît de toute façon difficile de comparer des résultats internationaux, tant les systèmes scolaires diffèrent selon les régions du monde. Les patients atteints de troubles neurologiques, et/ou ayant reçu certaines substances de chimiothérapie semblent rencontrer davantage de difficultés scolaires (Barrera, Shaw, Speechley, Maunsell, & Pogany, 2005; Précourt et al., 2002).

Comment se déroule la scolarité des élèves du secondaire atteints de cancer ?

La scolarité de ces élèves se déroule entre plusieurs lieux :

  • Le centre de soins où il est hospitalisé, quand un centre scolaire ou une association de professeurs bénévoles existe.
  • L’établissement d’origine, où l’élève peut retourner pendant les traitements ou après les traitements.

Le domicile, où l’élève peut recevoir des cours via le SAPAD et les associations de professeurs bénévoles.

Le graphique présente l’activité des enseignants de l’éducation nationale qui travaillent auprès d’élèves suivis pour des cancers. Des enseignants spécialisés sont présents dans les services hospitaliers. Les enseignants ordinaires de l’élève peuvent lui donner des cours à domicile via le SAPAD : ce sont des cours individuels au domicile. Pendant toute la durée des traitements, les enseignants ordinaires peuvent maintenir les liens avec leurs élèves par téléphone, visioconférence etc…

Que sait-on précisément sur le retour en classe des élèves du secondaire atteints de cancer ?

Le retour en classe après la maladie est très fortement appréhendé par les élèves, au même niveau que le diagnostic (Decker, Phillips, & Haase, 2004). L’annonce de la maladie grave représente un choc, à la fois pour le jeune lui-même, mais aussi pour le groupe de pairs (Grinyer, 2007) et les professionnels de l’éducation (Enskär & Von Essen, 2007). Une information claire et réfléchie (Deasy-Spinetta, 1993) ainsi que la présence de médiateurs (Cassano, Nagel, & O’Mara, 2008) permet d’apaiser la situation. Plusieurs expériences internationales relatent tout l’intérêt de réfléchir et de mettre en œuvre des interventions adaptées pour faciliter le retour en classe (Bruce, Newcombe, & Chapman, 2012; Moore et al., 2009).

 

Comment est né le projet de dispositif « PAS-CAP ! » ?

Le cancer, maladie grave chargée communément de représentations sociales négatives, génère de fortes angoisses chez les jeunes patients et leurs familles qui doivent gérer autant que faire se peut la pathologie et ses effets secondaires. Si le retour en classe est généralement souhaité tant par les praticiens que par les patients, les familles se sentent souvent démunies pour transmettre aux acteurs du système scolaire des informations sur la maladie et ses conséquences sur la scolarité. En outre, la problématique de la réintégration du jeune ayant traversé une maladie grave pose question aussi bien aux professionnels de l’éducation qu’à leurs camarades de classe, qui peuvent être fortement affectés par ces évènements. En cela, un accompagnement, réalisé par un non-soignant, semble pertinent pour faciliter la réintégration du jeune dans son établissement. Effectivement, l’objectif est d’accompagner un jeune « citoyen » à l’école, et non pas un malade. Mais comme toute intervention en milieu scolaire, et compte tenu du caractère extrêmement sensible des problématiques liées à l’oncologie pédiatrique, ce dispositif mérite d’être réfléchi et analysé, en amont et en aval.

Karyn Dugas, accompagnatrice en Santé, a créé un dispositif d’accompagnement du retour en classe et l’a testé pendant quatre ans alors qu’elle exerçait à l’Institut Gustave Roussy (Villejuif 94800). Un premier bilan a été réalisé avec le concours de Zoé Rollin, enseignante et doctorante en sociologie et a fait l’objet de la rédaction d’un article scientifique publié dans la revue Bulletin du cancer (lien vers l’article : https://www.em-consulte.com/article/962368/article/evaluation-d-interventions-destinees-a-faciliter-l) .

En 2012, Karyn Dugas intègre la maison MARADJA (Maison Aquitaine Ressources pour Adolescents et Jeunes Adultes atteints de cancer) du CHU de Bordeaux qui est un espace d’accompagnement psychosocial et de suivi médical des adolescents et jeunes adultes suivis pour un cancer, en hospitalisation et après les traitements aigus (lien vers la page MARADJA). Elle y exerce en tant que médiatrice en santé chargé de l’accompagnement du retour en classe des élèves atteints de cancer. Avec le concours de Zoé Rollin, elles transforment le dispositif d’accompagnement testé à Gustave Roussy en une recherche-action nommée « PAS-CAP », qui sera menée pendant deux années dont le bilan final a été publié dans la revue « Santé Publique ». (lien vers l’article bilan). Depuis 2015, le projet continue sous la forme d’un dispositif d’accompagnement porté par Karyn Dugas (MARADJA, CHU de Bordeaux) et les enseignants spécialisés du centre scolaire du CHU de Bordeaux.

En quoi consiste notre projet de recherche-action ?

Très peu de recherches en sciences sociales se sont intéressées à la situation des jeunes atteints de cancer et de leurs expériences, ce qui entraîne un manque de compréhension important de leurs situations, notamment celles concernant leur réinsertion scolaire et sociale. Dans cette recherche, sont croisés les regards des acteurs de l’accompagnement en santé, de l’enseignement et de la recherche en sciences humaines et sociales et en Santé Publique.

Ce dispositif de recherche a à la fois pour objectif de mesurer les apports des interventions et leur efficacité, mais aussi de mieux comprendre les difficultés liées au retour à l’école de ces jeunes. Concrètement, il se propose de réaliser des interventions, en classe et en équipe éducative, en collaboration avec le jeune en le plaçant dans une position d’acteur. L’objectif est donc bien de faciliter au mieux, et dans la durée, le retour en classe de ces jeunes, tout en cherchant à mieux comprendre les raisons qui expliquent les difficultés de ce retour.

Méthodologie de la recherche-action

Une recherche-action a pour objectif d’expérimenter une action (le dispositif « PAS-CAP ! ») tout en cherchant à produire des connaissances sur la thématique concernée.
Par le schéma ci-dessous, nous pouvons figurer quelles sont les temporalités de cette recherche-action et combien les différentes étapes sont imbriquées.

Le schéma présente la méthodologie de la démarche de recherche-action. D’abord, est mené un entretien diagnostic, qui du côté de l’action permet de comprendre les besoins de l’élève et du point de vue recherche, de retracer son parcours scolaire et médical. Dans un deuxième temps, est proposée l’intervention en équipe éducative. Du point de vue action, l’objectif est d’expliquer aux professionnels la situation du jeune et de négocier des aménagements. Du point de vue recherche, l’idée est d’observer la réunion pour mieux comprendre les représentations et les postures des professionnels. Dans ce même temps, de manière complémentaire, est proposée l’intervention en classe. Cette intervention permet de faciliter le retour en classe de l’élève malade. Du côté recherche, l’idée est d’observer la situation pour mieux comprendre les représentations et les postures des élèves. Enfin, un entretien bilan est réalisé qui permet d’évaluer sur le plan de l’action et de comprendre sur le plan de la recherche.

Résultats de la partie « action »

Pendant l’année scolaire 2013-2014, 12 jeunes ont été accompagnés durant leur retour en classe, tous pour une équipe éducative, et 10 pour une intervention en classe.

12 interventions en équipe éducative ont été menées. Elles mettent en évidence qu’il est crucial de prévoir un temps d’échange avec les professionnels de l’éducation car du fait d’un manque de formation sur la question, ils connaissent souvent peu les effets du cancer sur la scolarité des élèves. Les professionnels expriment fréquemment un besoin de formation et de réunions spécifiques sur ces questions et peuvent exprimer un certain nombre d’appréhensions concernant le retour en classe de leur élève.

Les interventions en classe ont lieu dans des classes de collège et de lycée. Sans surprise, elles se déroulent dans un contexte où les représentations des élèves sur la maladie sont très négatives comme le montre le graphique ci-dessous.

Durant les dix interventions en classe réalisées, 234 élèves ont été rencontrés. Les élèves interrogés par questionnaire auto-administré anonyme se disent globalement très satisfaits par les interventions réalisées, parce qu’ils apprennent des connaissances mais aussi parce qu’ils se sentent rassurés et rendus plus capables d’accueillir le jeune après ses traitements aigus.

Un diagramme en bâtons présente l’évaluation des élèves des interventions en classe. 234 élèves ont été interrogés. 1 est la note minimale, 5 est la note la plus haute. L’item « si j’avais su, je n’aurai pas assisté à l’intervention » remporte le score 1,34. L’item « je me sens plus à l’écoute » remporte le score 3,49. L’item « cette présentation m’a donné envie d’aider » remporte le score 3,66. L’item « cette présentation m’a rendue triste » remporte le score 2,41. Un diagramme en bâtons présente les occurrences de chaque mot dans les représentations des élèves. Les mots qui reviennent le plus souvent sont la « maladie » (33%), le champ lexical du cancer (18%), des termes allant dans le sens d’une caractérisation négative de la maladie (25%) et la mort (11%). À l’inverse, d’autres éléments reviennent moins fréquemment comme la caractérisation positive (3%) ou neutre (6%) de la maladie

La recherche-action, un support pour mieux comprendre l’expérience des jeunes

Cette recherche-action, couplée à des travaux complémentaires ont permis de mieux comprendre l’expérience scolaire des jeunes suivis pour un cancer.

Zoé Rollin, sociologue et maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université de présente dans cette vidéo quelques résultats de ses recherches centrées sur l’expérience des lycéens suivis pour un cancer.

 

Publications en lien avec la recherche-action

Dugas, K. Rollin, Z., Brugières, L., Valteau-Couanet, D., Gaspar, N. (2014). Évaluation d’interventions destinées à faciliter le retour en classe d’élèves du secondaire traités pour un cancer. Bulletin du cancer, 101 (11), 1009-1019.

Rollin, Z. (2015). Comment comprendre et faciliter le retour en classe des lycéens traités pour un cancer ? Retour sur une recherche-action sociologique. Santé Publique, vol. 27(3), 309-320. doi:10.3917/spub.153.0309.

Rollin, Z. (2019). Devenir un·e élève atteint·e d’un cancer: Quelles expériences de la scolarité pour des adolescent·e·s suivi·e·s pour un cancer ?. Agora débats/jeunesses, 81(1), 79-92. doi:10.3917/agora.081.0079.

Interventions en colloque ou en conférence

7 et 8 Juillet 2014 : Highschools pupils with cancer returning to school : what challenges for French high school system ? what solutions ?, Teenage Cancer Trust, London (Poster scientifique)

5 Juin 2014 : Lycéens atteints de cancer, des « autres » pour l’institution scolaire française, Colloque international « Oser l’autre » : climats, violences et vulnérabilités scolaires en question, 4-5-6 Juin 2014, Colloque « Oser l’Autre », Bordeaux

9 Décembre 2013 : « PAS-CAP ! » : un dispositif expérimental d’accompagnement du retour en classe des élèves atteints de cancer », Journée d’étude « Agir pour chercher, chercher pour agir : recherches-interventionnelles en SHS sur le cancer », Institut National du Cancer, Boulogne Billancourt

15 et 16 Avril 2013: « A research-action project for teenagers treated for cancer : accompany returns to schooling and understand precisely their difficulties”, Poster scientifique, Rencontres scientifiques de l’EHESP, Ministère de la Santé, Paris

23 Mars 2013: « Le dispositif « PAS-CAP ! », Congrès international de neurochirurgie ANOCEF, Bordeaux

Bibliographie indicative

Barrera, M., Shaw, A., Speechley, K., Maunsell, E., & Pogany, L. (2005). Educational and social late effects of childhood cancer and related clinical, personal, and familial characteristics. Cancer, 104(8), 1751–60.

Bataille, P. (2003). Un cancer et la vie : Les malades face à la maladie. Jacob Duvernet (Editions).

Bonneau, J., Lebreton, J., Taque, S., Chappe, C., Bayart, S., Edan, C., & Gandemer, V. (2011). School performance of childhood cancer survivors: mind the teenagers! The Journal of Pediatrics, 158(1), 135–141. doi:10.1016/j.jpeds.2010.07.008

Bruce, B. S., Newcombe, J., & Chapman, A. (2012). School liaison program for children with brain tumors. Journal of Pediatric Oncology Nursing: Official Journal of the Association of Pediatric Oncology Nurses, 29(1), 45–54. doi:10.1177/1043454211432296

Bury, M. (1982). Chronic illness as biographical disruption. Sociology of Health & Illness, 4(2), 167–182. doi:10.1111/1467-9566.ep11339939

Cassano, J., Nagel, K., & O’Mara, L. (2008). Talking with others who “just know”: perceptions of adolescents with cancer who participate in a teen group. Journal of Pediatric Oncology Nursing : Official Journal of the Association of Pediatric Oncology Nurses, 25(4), 193–199. doi:10.1177/1043454208319972

Deasy-Spinetta, P. (1993). School issues and the child with cancer. Cancer, 71(10 Suppl), 3261–3264.

Decker, C., Phillips, C., & Haase, J. (2004). Information needs of adolescents with cancer. J Pediatr Oncol Nurs, 21(6), 327–34.

Dieluweit, U., Debatin, K.-M., Grabow, D., Kaatsch, P., Peter, R., Seitz, D. C. M., & Goldbeck, L. (2011). Educational and vocational achievement among long-term survivors of adolescent cancer in Germany. Pediatric Blood & Cancer, 56(3), 432–438. doi:10.1002/pbc.22806

Eiser, C., & Vance, Y. H. (2002). Implications of cancer for school attendance and behavior. Medical and Pediatric Oncology, 38(5), 317–319. doi:10.1002/mpo.1341

Enskär, K., & Von Essen, L. (2007). Prevalence of aspects of distress, coping, support and care among adolescents and young adults undergoing and being off cancer treatment. Eur J Oncol Nurs, 11(5), 400–8.

Gerhardt, C., Dixon, M., Vannatta, K., Valerius, K., Correll, J., & Noll, R. (2007). Educational and occupational outcomes among survivors of childhood cancer during the transition to emerging adulthood. J Dev Behav Pediatr, 28(6), 448–55.

Grinyer, A. (2007). The biographical impact of teenage and adolescent cancer. Chronic Illness, 3(4), 265–277. doi:10.1177/1742395307085335

Marioni, Gabrielle. (2010). Être atteint d’un cancer à l’adolescence : aspects psychologiques. In L’adolescent atteint de cancer et les siens. Quelle détresse, quelles difficultés, quels souhaits d’aide ? (pp. 37–52). Paris: Springer.

Moore, J. B., Kaffenberger, C., Goldberg, P., Kyeung Mi Oh, & Hudspeth, R. (2009). School reentry for children with cancer: perceptions of nurses, school personnel, and parents.

Journal of Pediatric Oncology Nursing: Official Journal of the Association of Pediatric Oncology Nurses, 26(2), 86–99. doi:10.1177/1043454208328765

Oppenheim, D. (2006). Les adolescents traités pour un cancer et le sentiment d’enfermement. Adolescence, no 56(2), 347–360. doi:10.3917/ado.056.0347

Pini, S., Hugh-Jones, S., & Gardner, P. H. (2012). What effect does a cancer diagnosis have on the educational engagement and school life of teenagers? A systematic review. Psycho-Oncology, 21(7), 685–694. doi:10.1002/pon.2082

Précourt, S., Robaey, P., Lamothe, I., Lassonde, M., Sauerwein, H., & Moghrabi, A. (2002). Verbal cognitive functionning and learning in girls treated for acute lymphoblastic leukemia by chemotherapy with or without cranial irradiation. Dev Neuropsychol, 21(2), 173–95.

Vance, Y. H., & Eiser, C. (2002). The school experience of the child with cancer. Child: Care, Health and Development, 28(1), 5–19. doi:10.1046/j.1365-2214.2002.00227.x

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